Décidément, la parabole du Semeur que nous a enseignée Notre Seigneur est d'une richesse d'enseignement inouïe. Et nous ne parlons même pas des commentaires extraordinaires qu'en ont donnés les Pères de l'Eglise.
Nous autorisant en quelque sorte d'une réflexion d'Etienne Gilson, selon lequel, l'Ecriture Sainte a été révée au sens propre, ce qui est évident s'agissant du reportage qu'ont effectué les évangélistes concernant Notre-Seigneur, nous sommes libres d'exercer notre raison, d'utiliser des analogies, et tirer les conséquences de cette parabole.
Son objet est de mettre en évidence:
- ce qu'est "la Révélation", l'"information" ontologique, génétique, la chose surnaturelle qui est communiquée par Dieu à l'humanité et qui l'a été un jour au tour de l'an 30 en Judée, et non pas communiquée par " Dieu" ou le " Divin ", de manière seulement naturelle, anhistorique, uniquement psychologique, ethnologique, et simplement dans un aujourd'hui de la croyance qui serait exclusif et qui évacuerait précisément cet événément historique hors du commun qui heurte autant l'esprit contemporain, à l'extrémisme cartésien, et devenu nihiliste et desespéré. Il s'agit d'une chose similaire à un gène nouveau, un germe supérieur, une sorte de vaccin thérapeutique,
- ce qu'est l'homme qui accepte ou refuse cette véritable greffe, comme l'indique Saint Paul nous enseignant que la Grâce substantielle est entée sur l'homme naturel, et que surtout c'est cette greffe, qui regénére l'ancien organisme en un organisme renouvelé comme l'arbre sauvage stérile est métamorphosé en arbre qui donne beaucoup de fruits.
Il ne s'agit pas ici d'une simple analogie de nature éthique; en effet, la morale naturelle n'a pas besoin de Révélation temporelle, hébraïque ou Chrétienne, car la conscience serait un instinct divin d'après Rousseau; il ne s'agit pas non plus d'une analogie de caractère psychologique, - un sentiment religieux - , mais presque d'une similitude entre deux cas paralllèles d'essence ancienne mutée en essence nouvelle.
- et reliant les deux, les conditions de possibilité gouvernant la communication ou la non-confirmation de l'information.
Analyons donc en cette perspective, le contenu de la "parabole".
LES QUATRE PREMISSES CONTENUES DANS LA COMPARAISON:
Tout d'abord,
- nous suivons la traduction du chanoine Crampon - Notre Divin Rédempteur nous enseigne (ch. 8, 11-12):
"La semence, c’est la parole de Dieu. Ceux qui sont le long du chemin sont creux qui ont entendu ; ensuite le diable vient, et il enlève la parole de leur cœur, de peur qu’ils ne croient et ne se sauvent."
N.S-.J.C. identifiera tour à tous les quatre factultés mentales qui sont concernées par la Révélation qu'Il nous donne: il s'agit en première instance, de l'intelligence. L'homme "entend", il entend par l'intelligence; "La foi vient de l'ouïe" dira Saint Paul. Car dans le substrat hébreu de la parole du Divin Maître, le mot traduit en français actuel par "coeur" signifie précisément siège de l"intelligence". Dans la culture hébraïque qui a servi de cadre de La Révélation, on parle d'une des trois composantes de l'esprit humain: "neshama".
Or la fragilité humaine étant ce qu'elle est, nous savons aussi que l'intelligence, et ce par définition, divise artificiellement toute chose concrète, qui est nécessairement indivise. Henri Bergson, pour n'évoquer que, lui a amplement souligné cet effet dissolvant du réel que l'on doit imputer à l'intelligence. Notre Divin Rédempteur accuse de manière elliptique et en apparence déconcertante, directement Satan en la matière. C'est que si Satan est le maître sur terre de l'humanité pécheresse c'est qu'il en distillant l'orgueil, il est le maçon qui démolit sur le terrain de l'intelligence, le morcelle, et le relègue en jachère inculte.
En l'espèce, l'intelligence consiste donc en la première faculté nécessaire, pour accepter de recevoir l'information sur-naturelle.
Ensuite,
(ch.8, verset 13) Ceux qui sont sur de la pierre sont ceux qui, en entendant la parole, l’accueillent avec joie ; mais ils n’ont point de racine : ils croient pour un temps, et ils se retirent à l’heure de l’épreuve.
Notre Divin Sauveur nous apprend qu'il faut ajouter, chez ceux qui "entendent" l'intervention d'une seconde faculté qui est celle du jugement. L'homme doit exercer son jugement non pas dans le cadre de la géomètrie, pour parler comme Pascal, mais dans celui du coeur, de l'intuition; Un jugement intuitif où le bon sens discipline "la puissance trompeuse" que constitue l'imagination, et même s'il ne la renie pas. Cela correspond dans la culture temporelle de N.S.-J.C. à ce que l'on nomme en français "âme", au "nefesch", à la psychologie, à l'affectivité. Mais chacun voit que les souffrances de la vie détruisent aisément cette joie trop humaine, altèrent ainsi le jugement ayant guidé un temps la Foi, et que l'intelligence qui avait scrupuleusement "entendu" et mis à l'écart Satan demeurera en définitive stérile.
Le jugement, exercé de façon stable, forme ainsi la seconde factulté nécessaire.
Puis encore,
(ch. 8, v. 14 )Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui ont entendu, mais vont et se laissent étouffer par les sollicitudes, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils n’arrivent point à maturité
L'homme avait pu "entendre" La Révélation, comprendre le Nouveau germe par "neshama", et il a parfois été capable de dépasser la déception de ne plus ressentir cette joie d'un moment qui est celle des commençants, par sa force d'âme "nefesh", mais il doit exercer sa volonté, factulté mentale fondamentale s'il en est, dont découlent en particulier l'attention, la constance, la force, la stabilité, l'opiniâtreté. N.S.-J.C. nous enseigne qu'il doit exercer sa volonté pour persévérer et pour fructifier, contre les forces contraires de notre nature: l'habitude qui est viciée par l'instinct, l'utilitarisme prosaïque de l'existence, la faiblesse du caractère face aux sollicitations de ce monde. Il demeure docile à ce que la culture hébraïque "le ruah" l'"esprit", troisième composante du psychisme humain.
La volonté constitue la troisième faculté nécessaire.
Enfin,
(ch.8, Verset 15) "Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, après avoir entendu la parole avec un cœur noble et bon, la gardent et portent du fruit grâce à la constance".
Notre Divin Rédempteur récapitule: le fidèle qui a compris par son intelligence triomphant de l'orgueil congénital, qui a su dresser son jugement empli de Charité, d'Espérance et de Certitude, pour résister aux malheurs de la vie, qui a persisté en faisant épouser sa volonté, son souffle, dans la fidélité ("hessed") à son enseignement, ces trois conditions étant alors remplies il peut encore utiliser la quatrième faculté nécessaire, et qui sera, elle, dès lors suffisante, la mémoire. Le fidèle garde, conserve le Dépôt durablement en lui, comme il demeure, lui durablement dans la Semence. Le grain semé ne forme la Parole de Dieu, parce qu'elle est uniquement créatrice de vie divine, instrument de communication de vie divine, semailles de gène surnaturel nouveau qui peut dès lors, - mais comme il le doit surtout par nature, - féconder, se greffer au bon terrain.
La mémoire est donc la quatrième faculté suffisante pour recevoir la Nouvelle Création Rédemptrice.
LES CONCLUSIONS A TIRER DE CES PREMISSES
De cette analyse, nous pouvons retirer au moins deux enseignements: La Vie Divine est une réalité supérieure et extérieure à la pensée humaine, et c'est cette Vie divine ainsi comprise, de manière génétique, (cf .Claude Tresmontant) qui est offerte à tout homme. A cette affirmation l'on peut résumer tout l'enseignement de Notre Divin Maître. Mais cela signifie à titre de corollaire que l'homme n'est lui-même qu'un "terrain".
Quelle est la liberté pour un grand malade?
L'être humain est une créature de Dieu, il constitue au prisme de cette analogie du Semeur enseignée par le Bon Dieu, un terrain plus ou moins incompatible, hostile, favorable, ou réceptif. De même qu'un germe extérieur à un organisme humain peut chercher à s'y introduire, à lui nuire, mais d'une manière positive et plus adéquate, qu'un médicament ou un vaccin est administré au patient afin que son organisme l'assimile et s'en trouve guéri et regénéré, La Révélation que la Vie divine peut être re-créée à l'échelle de chaque homme de bonne volonté, correspond à un processus analogue. Dans le premier cas, une greffe naturelle est administrée et il en résulte un renouveau, dans le second cas, une greffe naturelle et surnaturelle est donnée et reçue,; il en résulte un homme doté d'une ontologie nouvelle, et non pas un "gentil chrétien" qui tend désormais sa joue gauche de manière névrotique, ou qui s'émerveille de façon niaise du spectacle de la nature, ce que tout homme est apte à faire sans la Révélation chrétienne.
Dès lors se trouve mise à nue toute la problématique de la liberté privée et publique de conscience; cette équivoque et trompeuse "liberté religieuse" est en fait, fondée sur le présupposé que l'homme serait "fait à l'image de Dieu" de par sa seule raison, l'unique sentiment de sa liberté, l'exaltation narcissique de sa conscience auto-suffisante. Or il n'en n'est rien. Le texte même de la Genèse indique que l'homme a été créé de la manière que Dieu aurait voulu faire représenter son image par une statue. Or une statue a t'elle une raison autonome de celle de son créateur? a-t'elle une liberté en dehors de la volonté créatrice de son inventeur? a t'elle une conscience distincte de celle que son auteur y a mis par le truchement de l'idée esthétique qu'il y a imprimée? Dans la comparaison du Semeur, l'on entend N.S.-J.C. nous dire, "terre malade, inculte, en friche" tu as une chance de redevenir la terre fertile que j'ai voulu que tu sois, je t'ensemence à cette fin. Si tu remplis les quatre conditions thérapeutiques que je t'indique, tu pourras être sauvée, car alors le vaccin qui doit te guérir pour agir.
Le bon Dieu n'est donc pas venu sur terre pour nous dire que nous étions "libres", la philosophie grecque nous a appris que nous l'étions en apparence, comme chacun d'entre nous le ressent spontanément aussi; non, il est venu pour nous dire que notre liberté de conscience et notre liberté de culte n'était pas limitée à celle de la route, de la pierre, du buisson d'épines, c'est à dire à celle de la mort en dernière analyse. C'est pourquoi le document "Digniatis Humanae" est incompréhensible dans le sens où sa signification théorique et pratique qu'on en enseigne est , loin d' "être contenue dans la Révélation", mais au contraire condamnée par avance et sans appel par Notre-Seigneur.
La seconde leçon qu'on est en droit de discerner de cette comparaison du Semeur consiste en un développement relatif à l'intelligence de La Foi au regard des diverses disciplines en jeu.
Le prisme de l'intelligence théologique
A la lumière des quatre facultés mentales évoquées à l'occasion de la parabole, on peut observer que la théologie forme un édifice unique édifié sur quatre piliers intellectuels qui sont fondées sur lesdites facultés.
A la faculté de l'intelligence correspond la discipline métaphysique, et pratiquement la seule à être viable aujourd'hui, la métaphysique thomiste de l'être. Sur ce socle de l'ontologie de la création par l'être surajouté à l'essence, est édifiée la philosophie thomiste elle-même, à laquelle peuvent être jointes les autres systèmes dans la mesure où ils sont compatibles avec la métaphysique de Saint Thomas. Couronnant cela, apparait la théologie "thomiste" telle qu'elle s'est exercée jusqu'au premier vingtième siècle.
il est clair que toutes les métaphysiques et philosophies, telles que la théologie phénoménologique, et les formules d'inspiration heideggerienne du style "la Révélation sans l'être mais avec l'amour" sont incompatibles avec ce qu'enseigne N.S.-J.C. et et facteurs de division comme il nous l'a appris.
S'agissant de la mémoire, elle renvoie au reportage historique des Evangiles - mémoire certifiée et attestée par les martyrs - qui s'inscrivent dans le sillage de l'antique religion hébraïque. A la science historique et à ses auxiliaires, représentées par l'exégèse catholique des Ecritures, s'ajoute ensuite l'exégèse qu'en ont fait les Pères de l'Eglise, et le Magistère de l'Eglise, en un mot la Tradition Apostolique. Et sur ce pilier scripturaire et de transmission régulée par Rome luttant contre le phénomène d'entropie (cf. Claude Tresmontant) se fonde aussi la théologie catholique, conceptualisée et technicisée, par la rigueur du thomisme vu au point précédent.
Ensuite, en ce qui concerne la troisième faculté soit la volonté, elle sert de fondation à l'attestation même de la certitude intelligente de la réalité objective de la vie divine transcendante offerte par Notre Seigneur, par son Incarnation, son enseignement "informant", sa mort redemptrice, et sa résurrection, et l'offre d'adoption qui en découle pour l'humanité. C'est sur cette Foi, ainsi authentiquement définie, que repose alors la vie de prière catholique, et les multiples doctrines spirituelles qui n'en sont que le volet théorique: les écoles ignatienne, franciscaine, carmélitaine, bénédictine, cartucienne, etc. A la prière sont liés de manière consubstantielle, les sacrements et la liturgie institués par Notre-Seigneur. Ici encore c'est à la faveur des richeses incommensurables de ces rites sacrés et de ces diverses traditions de prière que la théologie catholique se nourrit, et non pas seulement la théologie contemplative. La théologie sacramentelle en constitue un parfait témoignage
Enfin, la quatrième faculté, celle du jugement s'exprime - toujours avec ses composantes d'intuition, d'imagination, de bon sens, placées sous l'égide des quatre vertus cardinales, - dans l'organisation de l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique, dans sa pastorale, sa mission. Sa discipline est régie au degré au-dessus par son droit canon; les dispositions de droit divin qu'il contient en font tout naturellement également un dernier fondement en concours avec la philosophie thomiste, le Magistère de l'Eglise, et les écoles de spiritualité catholique, à la théologie, "car on ne lutte pas juridiquement contre Dieu".
En conclusion,
On le voit, comme les quatre facultés psychiques de l'homme sont essentielles à chaque fidèle pour répondre librement à sa vocation de créature, vocation qui est d'être guérie par la greffe de la semence sur-naturelle du Bien, de la Vérité, et de la Charité, en lui, de même, s'agissant du Dépôt de la Foi, comme donc de la survie de l'Eglise, il est indispensable que la théologie catholique soit édifiée sur ces quatre fondations: philosophie, histoire, spiritualité, pastorale.
JEAN CHAUDIERE, 15 janvier 2012